Le silence de l'Occident et l'accumulation des frustrations n'ont qu'un sens : le scénario du démembrement
La controverse est toujours aussi vive en RD Congo après la folle journée du 30 juin 2005. Une journée qui a connu le déferlement d'une impressionnante foule de Congolais décidés à manifester contre le refus de l'évaluation et la prolongation automatique de la transition. Mais aussi, comme son corollaire naturel, un déploiement inégalé des forces répressives. Qu'un fou du roi se retrouve alors sur la scène, de cape et d'épée ridiculement habillé, qu'il se satisfasse d'aller joyeusement dans le sens où le pousse le joueur ou, pire, le vent, et qu'il se félicite d'avoir versé du sang de ses semblables, on peut se demander qui, de la victime ou du bourreau, est le plus à plaindre. Justement, tout le drame se situe là, dans cette terrible substitution des rôles et cet incroyable mélange des genres. Il ne restera plus alors à la fraction consciente de la population que le choix de poser, comme une arlésienne, l'éternelle questionsans réponse : y a-t-il encore des raisons de croire en un dessein commun dans ce pays? Non seulement parce que nous le voudrions, mais bien parce que nos maîtres à penser, investis d'un mandat civilisateur divin, ont décidé à notre place de ce qui nous convient, tout en nous faisant payer comptant le prix de leurs contributions financières, quand bien même ils se feraient déjà rembourser au multiple par le biais de fausses procédures de passation des marchés, de la réforme des entreprises publiques, de la restructuration du secteur privé ou des mécanismes léonins de remboursement et d'allégement de la dette.
Le Phare (Kinshasa)
OPINION
7 Juillet 2005
Kenge Mukengeshayi
Kinshasa
On en est ainsi, dans ce pays de l'ailleurs, à se disputer, pour les uns, l'amertume d'une victoire arrachée dans le crime et le sang et, pour d'autres, l'échec de la foi dans l'émergence d'une conscience historique et politique qui monte chaque jour en puissance de nos quartiers populaires et nos villages. Pourtant, la controverse ne s'arrête pas là. La cacophonie autour du bilan des événements, du nombre des morts et des blessés, est tout aussi troublante que macabre. Enfin, il n'est pas sans signification qu'on se félicite en RD Congo d'avoir réprimé des compatriotes au moment où, à Bruxelles, Pretoria, Londres, Montréal, des Congolais ont joué de ce droit élémentaire de manifester que leurs dirigeants, dans un dessein démocratique à rebours, leur privent.
Certes, dans nos cités crasseuses, nos quartiers nauséabonds et nos cases enfumées, il existe encore des Congolais trop bons, ou assez naïfs, pour se demander comment on peut en arriver à ce genre de scandale, en plein 21ème siècle, et sous le regard malicieusement complice de l'Occident civilisateur. Simples d'esprit ou esclaves d'un monde qu'ils n'ont jamais créé à leur image, nos compatriotes ont sans doute encore besoin de découvrir par la vie ce qu'ils n'apprendront qu'imparfaitement dans les livres écrits par leurs maîtres d'hier et d'aujourd'hui: noirs, ils le sont de chair, d'esprit et de sang. Ils naîtront toujours selon cette racine et croîtront selon ce même feuillage. Enfin, ils le resteront toute leur vie tant qu'ils n'auront pas compris que les félicitations du jury occidental, les tapes dans le dos ainsi que la bonne gouvernance ne sont que les expressions modernisées, plutôt mondialisées, du même système politique et économique qui s'appelait il y a encore quelques années esclavage ou colonisation. Et qu'il n'y a objectivement aucune raison - ni morale ou philosophique, ni politique ou économique - pour qu'il en soit autrement.
Voilà dans quelle perspective il faut interpréter la terrible banalisation du droit de manifester en Rd Congo et surtout des morts fauchées par des balles produites par l'Occident civilisateur. Voilà la pierre angulaire sur laquelle est bâti le 1+4, après que le rapport sur le pillage des ressources et les accusations de mauvaise gouvernance complaisamment lancées pour distraire les Congolais eurent transformé les loups en doux agneaux galonnés chargés de mettre la RD Congo sur les sentiers de la démocratie.
Rire plutôt que pleurer, c'est encore le mieux qu'il y a à faire. Quand, en effet, les larmes n'émeuvent plus, il n'y a que le rire qui constitue une véritable surprise sur des visages habitués à vivre de poussière, de faim, de maladie et de mort. Il n'y a que ce rire grave aux sonorités mélancoliques pour interroger ceux-là qui ont promis des sanctions tant nationales qu'internationales aux Congolais dans leur propre pays, au prétexte qu'ils auraient osé se révolter contre l'ordre de ceux qui ont transformé la Rd Congo en comptoir colonial éternel.
Sans doute que ce genre de menaces ont-elles un effet dissuasif sur ceux qui ne voient leur avenir qu'en pique-assiettes des chancelleries, en amateurs de méchouis, des réceptions diplomatiquement ennuyeuses ou de quotas d'immigration. Mais il n'y a aucun doute que la majorité des Congolais auraient mille fois préféré rester chez eux et avoir la maîtrise de leur destin.
N'empêche: nous ne perdrons rien à attendre pour voir de quel côté viendront les sanctions et quels effets ils auront sur les Congolais. En revanche, ainsi que le suggérait déjà notre caricaturiste en début de semaine, il est permis de se poser la question de savoir quel effet cela aurait eu en France ou en Belgique si le 14 ou le 21 juillet, la police était en train de réprimer des manifestants dans la rue pendant que Jacques Chirac ou le Roi Albert seraient enfermés dans leurs palais? Pour quelques uns d'entre nous, il y a incontestablement là l'expression d'une crise inacceptable pour les Français et les Belges, mais que les Congolais doivent continuer de subir, de gré ou de force. Plutôt de force que de gré si l'on observe avec quelle condescendance et quel mépris, de tous les quatre coins du monde, ceux-là mêmes qui nous veulent toujours du bien après nous avoir réduits en esclaves, après avoir colonisé notre pays et pillé ses richesses, endossent sans remords la soutane du donneur de leçons et tiennent à nous faire croire que c'est par altruisme, ou pour nos beaux yeux, qu'ils nous vendent des recettes clés en mains comme ils avaient vendu hier des éléphants blancs aux dictateurs africains, dont les frasques dispendieuses ne les avaient pas outre mesure émus.
Voilà donc pourquoi, en dépit d'une gestion calamiteuse, l'Occident ferme les yeux sur les crimes et encourage les violateurs des droits de l'homme nonobstant une facture, encore impayée, de 4 millions de morts. Voilà pourquoi, selon nos partenaires, il n'existe pas d'alternative à la mauvaise gouvernance, à la médiocrité, à l'incompétence et aux dysfonctionnements des institutions. Voilà, enfin, pourquoi il faut absolument garder le silence sur un processus d'identification et d'enrôlement passé au stade du théâtre de chez nous, en dépit de preuves accablantes de tricheries, d'enrôlement d'étrangers et de défaillance des machines.
C'est sur ces paradoxes historiques que des Congolais ayant récemment réfléchi sur la crise dans leur pays ont abouti à la seule conclusion qui ait vraiment un sens. A savoir qu'une telle complaisance ne peut que relever du complot. Dont l'objectif serait d'accumuler les frustrations pour justifier, à terme, le démembrement de la RDC à l'initiative d'un certain nombre de seigneurs de guerre ayant gardé leurs capacités de nuisance et suffisamment forts pour contester, armes à la main, les résultats des élections. Ce ne sont pas les prétextes qui manquent: refus de sanctionner les manquements, silence sur les violations des droits de l'homme et la mauvaise gouvernance, complaisance et la légèreté dans l'encadrement du processus électoral. C'est la chronique d'un chaos annoncé, voulu et assumé par ceux qui, en dépit de deux guerres successives, n'avaient jamais réussi à imposer aux Congolais le scénario de l'éclatement idéologique de leur pays. Ils sont désormais près du but.